Re: La Gloire Ecarlate
Posté : 07 décembre 2013, 09:32
Superbe mon bro et le final est vraiment très bon Un récit magnifique que j'ai lu avec plaisir en m'y plongeant avec bonheur
T'es un King
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Les vagues faisaient tanguer le petit navire. Parfois, les plus puissantes d’entre elles déferlaient sur le pont pour y déverser leurs langues d’eau salée
Bastan se tenait sur le pont principal, son arc plaqué contre son corps. Son visage s’était creusé, ses traits s’étaient durcis. « Une gueule de tueur ! » lui avait-t-on maintes et maintes fois répété.
Les vingt-neuf archers de sa section l’entouraient, accrochés au bastingage et aux cordes pendant du gréement. Ils conservaient une immobilité presque irréelle, malgré la tempête qui se déchaînait. Bolshak avait pris position un peu plus loin, sur le pont avant. Tourné vers ses hommes, il laissait le soin aux marins de guider le bateau.
— Nous y voici, messieurs ! entonna le colosse. Le jour que vous attendiez tous ! Devant nous se dresse une citadelle qualifiée d’inexpugnable ! (Bolshak rit à gorge déployée.) Et bien les chiens qui s’y terrent vont bientôt goûter à l’incertitude ! Nous allons débarquer directement sur la plage. A partir de là, vous me suivrez. Notre objectif est d’anéantir leurs sentinelles, postées sur les créneaux de la tour ouest. Les autres sections se chargent du reste ! Alors, messieurs, êtes-vous prêts à faire pleuvoir la mort ?
Des cris accompagnèrent trente poings levés. Bastan hurla plus fort que jamais.
— Ah, une dernière chose ! reprit le gigantesque archer. J’ai vanté votre rapidité aux autres chefs de section et ils m’ont poussé à parier une somme faramineuse. Si je perds, c’est toutes mes économies qui partent en fumée et je n’aurais même plus assez de pognon pour m’envoyer la grosse Bertie !
Les Radashiens rirent de concert. Ils connaissaient tous la femme dont parlait le colosse, une grosse servante qui travaillait dans une auberge de Merial-Phur. Cette vache louait ses services pour trois fois rien. Malgré cela, on pouvait compter ses clients annuels sur les doigts d’une main…
— Alors, messieurs, offrez-moi le plaisir de ridiculiser mes collègues ! Je veux que vos flèches terrassent tous ces vauriens en un temps record. Disons avant la prochaine demi-heure ! Faisable ?
Une fois encore, les Radashiens beuglèrent comme un seul homme. Ils étaient gonflés à bloc, prêts à en découdre. L’adrénaline incitait leur cœur à battre plus vite. Il n’était nullement question de peur ou d’anxiété, mais bel et bien d’excitation.
Le navire fit une embardée. Les Radashiens s’agrippèrent à ce qu’ils pouvaient. De là où ils étaient, ils ne voyaient rien. Un écran de bois renforcé de fer protégeait l’avant du bâtiment et seuls les matelots assignés au pilotage, sur le pont arrière, discernaient le chemin à emprunter.
Bastan leva les yeux. Des boulets enflammés passèrent par-dessus le bateau. Ils allèrent s’écraser dans la mer, émettant des chuintements que la clameur de la guerre peinait à masquer. Les défenseurs de la citadelle tentaient de repousser les deux cents transporteurs de troupes qui fonçaient vers eux, toutes voiles dehors.
L’air était chaud, saturé en iode. Le soleil brillait haut dans le ciel, telle une boule de lave. Jamais Bastan n’était venu si loin dans le sud, parmi ces îles aux noms compliqués. Deux peuplades se faisaient la guerre depuis près de dix ans, tentant d’annexer les îlots qui pouvaient l’être. L’une des deux factions avaient engagé quatre sections de Radashiens.
Bientôt, Bastan allait goûter au nectar de la Gloire Ecarlate. Il sentait déjà ses effets. Des fourmillements dans l’estomac et dans les reins… Quel délice !
Il se tourna vers Sylas, le bélénide. Les deux amis échangèrent un sourire mais conservèrent leur silence. L’exaltation qu’ils ressentaient se passait de mots.
Quelqu’un brailla dans le gréement. On approchait de la plage !
— Messieurs, que le massacre commence ! vociféra Bolshak. Rendez-vous aux pieds des murailles ! Pour la gloire de Radash !
Une violente secousse anima le navire. Sa carène, conçue pour ce type de manœuvre, glissa sur le sable. Le bouclier avant s’abaissa, faisant office de passerelle. Bolshak leva le poing une dernière fois, histoire de faire bonne mesure, et sauta hors du bateau. Tous les hommes le suivirent, avec leurs arcs prêts à tirer. Face à eux, la plage se déployait sur une centaine de mètres avant d’être interrompue par les murailles.
Bastan sourit, emplit ses poumons. Il revit fugacement le visage de Calabos. Un souvenir parasite qui se dissipa très vite.
Le jeune homme sprintait dans le sable. Il avait déjà repéré sa cible : un archer de grande taille, posté entre deux créneaux de la tour ouest, qui décochait des traits à une vitesse fulgurante. Les membres de sa section se précipitaient autour de lui. Sa troupe, sa famille ! Ce sentiment de fraternité renforçait son courage, le poussait en avant, droit vers le danger.
Bastan aperçut Sylas lâcher sa corde, envoyant un projectile directement dans la bouche d’un adversaire. Le cadavre vacilla et bascula par-dessus la rambarde.
Les faciès des Radashiens exprimaient une froide assurance, et Bastan savait qu’il renvoyait la même chose à leurs ennemis. Ils incarnaient la perfection. Ils étaient la perfection ! Leurs cris raisonnaient, montaient à l’assaut des murs, annonçaient aux assiégés qu’ils vivaient leurs derniers instants. Le jeune homme se délectait de la peur qu’ils instillaient. Il en éprouvait même une fierté qui confinait à l’arrogance la plus tenace.
Il avait fait le meilleur des choix en frappant aux portes de Merial-Phur.
Bastan avait découvert sa voie. Pas forcément celle du Bien, ni celle du Mal. Juste la voie de Radash. Un idéal, parmi tant d’autres, en somme. En effet, qu’était le monde des hommes, sinon un amalgame d’idéaux qui, trop souvent, s’entrechoquaient ?
C’était comme s’il goûtait enfin… à la vie elle-même. Comme si tout ce qui précédait cette bataille n’était qu’une succession d’états larvaires. Oui. Bastan venait d’éclore, à la manière un papillon qui s’extirpe de sa chrysalide.
Il remarqua pourtant que ses camarades couraient plus vite que lui. Etonnant, lui qui pouvait se targuer d’être le plus rapide de sa section. Mais ce fichu sable aspirait ses pieds comme une nappe de mélasse ! Le souffle court, Bastan toussa, trébucha. Quelle était cette subite froideur, cette main qui enserrait son cœur et dont les doigts s’infiltraient entre ses organes ? Un goût ferreux emplissait sa bouche, ses yeux le piquaient. Bon sang ! Ses mâchoires mastiquaient quelque chose de dur, de minuscules cailloux qui crissaient entre ses dents. Bastan comprit qu’il était couché sur le ventre, son visage enfoui dans le sable. Luttant contre la torpeur, il leva la tête. Sa section le devançait d’une bonne cinquantaine de mètres. Leurs flèches décimaient les archers du parapet comme dans un jeu de fête foraine.
La place de Bastan était là-bas, parmi ses frères d’armes ! Alors, que faisait-il, affalé sur cette plage, à quelques pas seulement du ressac ? Pour toute réponse, une douleur affreuse larda ses poumons. Il vomit un jet carmin. Ses muscles ne lui obéissaient plus, sa vision se troublait, constellée de petites taches coruscantes.
Bastan cligna pour débarrasser ses cils du sable qui s’y était accroché. Il avisa une fois encore sa section combattant aux pieds des murailles. Au milieu des Radashiens, Bolshak lâchait son rire tonitruant. Il enchaînait ses tirs avec une terrible efficacité, exhortant ses hommes à l’imiter. Leurs capes rouges flottaient au vent. Autour d’eux, des corps sans vie, criblés de traits, tombaient des remparts et s’écrasaient sur la rocaille. Les Radashiens étaient chez eux, parmi la mort et le sang ! Quel maintien altier ! Quelle puissance jaillissait d’eux ! Ils moissonnaient leur gloire, imprimaient leurs noms dans l’histoire.
Bastan souleva sa main, soumise à des tremblements qu’il peinait à réprimer. Ses doigts se tendirent, avides, vers Bolshak et ses frères.
Attendez-moi ! Attendez…moi !
Bastan eut l’impression d’être happé à travers un tuyau. Son champ de vision se mit à rétrécir, à mesure qu’il s’éloignait de la plage. La dernière chose qu’il vit fut le drapeau de Radash, claquant sur le mât principal de son transporteur de troupes.
Un crâne humain serrant une flèche entre ses mâchoires.
Puis vint le néant.
Le soir, les Radashiens et leurs alliés avait obtenu la victoire. La section de Bolshak ne comptait que deux victimes.
Kroobs, le vieux docteur, parcourait la plage et prodiguait de minimes soins aux Radashiens blessés. La plupart ne passeraient pas la nuit. D’autres avaient plus de chance et s’en sortiraient avec quelques points de suture et un bandage…
Lorsqu’il arriva devant le cadavre de Bastan, il ne put réprimer un soupir. Il se baissa, et apposa une main calleuse sur son front. Une flèche avait défoncé ses côtes, perforé son cœur et son poumon, et ressortait de l’autre côté, juste sous l’omoplate.
— Anonyme tu seras. Un grain de poussière soufflé par le vent.
Il venait de fredonner ces deux phrases à voix basse. Un chant qu’il avait appris, un jour.
Au loin, sur les murailles, la section de Bolshak s’enivrait de vin et de bière. Ils hurlaient leur allégresse à la nuit.
Ils vivaient les délices de la victoire.
La Gloire Ecarlate.